
Une décennie de campagne a abouti à une nouvelle loi révolutionnaire sur la transparence en Ukraine. Olena Pavlenko présente les leçons apprises en cours de route.
Le 16 décembre 2021, le parlement ukrainien a adopté l’une des lois les plus progressistes au monde en matière de transparence dans les secteurs pétrolier, gazier et minier.
Désormais, tous les contrats extractifs entre les autorités et les entreprises doivent être divulgués.
Dans un pays qui dispose de vastes réserves d’hydrocarbures et de minéraux et où les activités extractives contribuent à faire tourner l’économie, l’impact de cette législation, si elle est appliquée, pourrait être immense.
En Ukraine – comme ailleurs – plus le secteur extractif divulgue de données, plus il est difficile pour le gouvernement ou les entreprises de dissimuler des accords inéquitables. La divulgation prévient la corruption et permet de la détecter plus facilement. Cela signifie également que les gens peuvent évaluer comment leurs ressources naturelles sont gérées, qui en profite et dans quelle mesure.
Dans le monde entier, les membres de PCQVP font pression pour obtenir des lois de transparence similaires, en faisant campagne sous la bannière #DiscloseTheDeal. Quelles leçons potentielles peut-on tirer de notre expérience, des tactiques que nous avons utilisées et des défis auxquels nous avons été confrontés en cours de route ?
Créer un élan
Pour celles et ceux qui en sont aux premières étapes de la campagne pour un secteur extractif ouvert et responsable, il est important de noter que les lois progressistes n’apparaissent pas du jour au lendemain. Elles apparaissent plutôt progressivement, étape par étape, grâce aux efforts et à la bonne volonté de différents acteur·trice·s – des entreprises aux organisations de la société civile (OSC) en passant par les gouvernements – jusqu’à ce que la dynamique du changement soit irrésistible.
En Ukraine, nous avons formé des alliances importantes avec d’autres OSC qui partageaient nos objectifs, par exemple le Reanimation Package of Reform et Energo Transparency Association (notre coalition nationale PCQVP), et ensemble nous avons organisé des événements, préparé des données et des infographies, et envoyé des déclarations aux membres du Parlement, entre autres.
En cours de route, nous avons appris que le processus de réforme peut être complexe, mais que les personnes qui le soutiennent peuvent se trouver à tous les niveaux.
Par exemple, le soutien à une idée peut provenir d’un niveau de la direction d’une entreprise, d’un·e haut·e fonctionnaire ou d’un·e ministre du gouvernement, mais pas d’un·e autre. Ainsi, adopter une position combative ou antagoniste à l’égard de tout un ministère serait contre-productif. Nous avons été soutenu·e·s par de nombreux·ses fonctionnaires de différents ministères, qui ont finalement constitué l’épine dorsale de l’équipe qui a permis à la nouvelle loi de devenir réalité.
L’un de nos plus grands défis a toutefois été la rotation rapide des fonctionnaires du gouvernement : en cinq ans, nous avons eu sept ministres différent·e·s et, à chaque nouvelle nomination, nous avons dû les sensibiliser aux problèmes, au fonctionnement de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et à son importance.
S’appuyer sur des victoires successives
Le chemin vers la nouvelle loi sur la transparence a connu des victoires notables en cours de route.
En 2013, par exemple, l’Ukraine a adhéré à l’ITIE. Cela a été suivi en 2015 par l’adoption d’une loi mineure – mais significative – qui a obligé les entreprises du secteur de la production de pétrole et de gaz à faire des rapports selon la norme ITIE.
Suite à cela, nous avons obtenu une deuxième loi plus complète en 2018, qui soutenait l’ouverture des données dans l’ensemble du secteur extractif, et décrivait la procédure de coopération entre les entreprises, le gouvernement et le public. Puis, après d’autres étapes législatives importantes, une troisième loi a été adoptée, qui non seulement a pris en compte les problèmes de mise en œuvre de la norme ITIE, mais a introduit des exigences plus fortes : l’ouverture complète des contrats, la prise en compte du genre dans le reporting, une plus grande attention à la dégradation environnementale des activités extractives.
Désormais, l’Ukraine dispose d’une législation qui n’a rien à envier aux lois sur la transparence les plus ouvertes au monde, telles que celles du Mexique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la Mongolie.
La redevabilité et la transparence peuvent sembler des concepts abstraits, mais leur application par le biais de cette nouvelle loi les rendra réels et aura des répercussions concrètes et profondes.
Récemment, par exemple, des investisseurs potentiels ont cherché à signer un accord de partage de la production (PSA) sur un gisement de lithium dans le centre de l’Ukraine. Les communautés locales doivent comprendre l’impact que ce projet pourrait avoir sur leurs revenus, sur leurs terres et sur leurs droits. Et pour ce faire, elles doivent évaluer les données clés du contrat. Sa publication nous donnera l’occasion de voir comment la nouvelle loi fonctionne en pratique et si les populations locales pourront réellement accéder à toutes les informations qu’elles sont désormais en droit d’avoir.
Au cours de la dernière décennie, la perspective que l’Ukraine adopte des lois de transparence révolutionnaires pour son secteur extractif a parfois semblé lointaine. Mais nous n’avons jamais perdu l’espoir que cela puisse arriver. Si nous avons un message à transmettre aux membres de PCQVP du monde entier qui poursuivent le même objectif, c’est qu’ils·elles ne doivent jamais cesser de croire en la possibilité d’un changement ou d’y travailler.