
La mise en place de l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) aura d’importantes conséquences pour l’Ouganda, mais aussi pour le reste de la planète. La divulgation des contrats qui le régissent nous aidera à examiner clairement ses risques ainsi que les bénéfices annoncés, écrit Robert Tumwesigye Baganda.
Ses défenseur·se·s prétendent que l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) aura de nombreuses retombées positives pour l’Ouganda.
La structure, qui mesurera 1 443 kilomètres et s’étendra des champs pétroliers situés près du lac Albert en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie, doit être livrée en 2025. Ce sera le plus grand oléoduc chauffé au monde. Ses défenseur·se·s disent qu’il transformera le paysage énergétique de l’Afrique de l’Est : il propulsera l’Ouganda au statut de pays à revenu intermédiaire, fera du pays un producteur d’énergie pour la première fois, augmentera les revenus du gouvernement à hauteur de 1,2 milliards de dollars, permettra une hausse des investissements étrangers directs de 60% pendant sa construction et créera des emplois dans une économie qui ne s’est toujours pas remise de la pandémie.
Mais pour ses opposant·e·s, l’EACOP est une erreur monumentale. Dans un monde où les impacts de la crise climatique sont de plus en plus évidents, de nombreux militant·e·s à travers le monde s’allient pour faire arrêter l’EACOP.
Plus d’un million de personnes ont signé une pétition pour que le projet soit annulé. Selon elles, un développement pétrolier d’une telle envergure entre la compagnie pétrolière française TotalEnergies, le groupe pétrolier chinois CNOOC, l’Uganda National Oil Company et la Tanzania Petroleum Development Corporation est incompatible avec un monde dans lequel l’objectif est d’atteindre un niveau d’émission zéro. Elles ont par ailleurs souligné qu’il rejettera chaque année environ 34 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
C’est pourquoi, au motif des menaces environnementales qu’il représente, un nombre croissant de grandes banques et d’assureurs refusent de financer le projet. D’autres ont documenté les risques qu’il fait peser sur les droits humains des communautés qui seront déplacées, notamment les risques pour leurs terres, leurs moyens de subsistance et la biodiversité.
Ce mois-ci, les opinions divergentes sur le gazoduc ont atteint un point culminant.
Le 14 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant le projet. Cette résolution a été rapidement critiquée par les législateurs ougandais·es. L’ambassadeur ougandais auprès de l’UE a déclaré que la résolution « n’était pas fondée sur des faits et était alimentée par des groupes intéressés ».
Détails cachés
Étant donné ces controverses et les profondes répercussions économiques, sociales et environnementales de l’EACOP, le public doit avoir accès aux détails de l’entente pétrolière qui définira leur avenir et celui des générations futures.
Pourtant, les documents clés qui répondraient à des questions cruciales que peut se poser la population sur l’EACOP restent cachés du public ougandais. Parmi les grandes inconnues de ce contrat, on trouve l’accord signé entre l’Ouganda et la Tanzanie ainsi que celui signé entre l’Ouganda et EACOP Company Ltd.
Les ententes pétrolières bénéficient rarement aux populations locales vivant dans la zone du projet. En sera-t-il autrement cette fois ? Le contrat comprend-il des mesures contre la corruption ? Quels sont les résultats de l’étude d’impacts sociaux et environnementaux du projet ? Quelles mesures existe-t-il pour contrer ses éventuels impacts économiques, sociaux et environnementaux ?
Se pose également la question de la pertinence de construire un immense oléoduc, alors que le monde s’éloigne des combustibles fossiles.
Des chercheur·se·s ont récemment estimé que des projets pétroliers existants d’une valeur de 1,4 milliards de dollars perdraient leur valeur si le monde s’engageait fermement à réduire les émissions de carbone, conformément à l’objectif de l’Accord de Paris qui est de limiter le réchauffement climatique mondial à 2°c. L’EACOP pourrait-il alors devenir un « actif délaissé » ?
#DiscloseTheDeal
Le public doit obtenir les réponses à ces questions cruciales et aux autres questions qu’il peut se poser à propos de l’EACOP.
C’est pourquoi PCQVP Ouganda, une coalition de plus de 45 organisations de la société civile, qui fait partie du mouvement mondial pour la transparence dans les secteurs pétrolier, gazier et minier, milite pour la divulgation des contrats et accords concernant ce projet.
Notre demande s’inscrit dans la tendance mondiale en faveur de la transparence dans les industries extractives : l’Ouganda lui-même a fait un grand pas en ce sens lorsqu’il a rejoint en août 2020 l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), la norme mondiale pour la bonne gouvernance des ressources pétrolières, gazières et minières. Parmi les exigences de l’ITIE, on trouve la divulgation complète des revenus des gouvernements et de tous les paiements matériels effectués par les compagnies des secteurs pétrolier, gazier et minier aux gouvernements.
Depuis août 2020, l’Ouganda ainsi que les 55 autres pays membres de l’ITIE sont tenus de divulguer les nouveaux contrats qu’ils signent avec des compagnies pétrolières, gazières et minières.
Le 14 mai de cette année, l’Ouganda a reconnu dans son premier rapport ITIE que les contrats n’ont pas encore été publiés.
De l’information naît le pouvoir, et avoir accès à l’information est un droit humain fondamental.
Garder secrets les accords et contrats de l’EACOP revient à priver les personnes concernées de leur pouvoir d’agir et à empêcher le public de comprendre avec exactitude les risques et avantages d’un accord qui comporte d’importantes conséquences pour l’Ouganda, le reste de l’Afrique et le monde.
Les informations doivent être diffusées à la source via les bases de données des gouvernements et des entreprises, les registres en ligne, les sites internet et autres portails, pour permettre aux citoyen·ne·s et aux parties prenantes d’accéder à des informations tenues à jour sur le secteur.
Par ailleurs, la divulgation obligatoire ne bénéficie pas qu’aux citoyen·ne·s et aux communautés.
Elle permet aux investisseur·se·s d’évaluer la gouvernance du pays et du projet mais aussi les risques pour leur réputation et les risques fiscaux. Une transparence accrue améliore les affaires des entreprises car elle contribue à promouvoir un climat d’investissement plus stable et à leur garantir un permis social d’exploitation. Une plus grande transparence dans les revenus peut aussi améliorer la rentabilité des investissements étrangers.
De plus, la transparence est bénéfique pour la gouvernance des ressources car elle fournit au gouvernement un outil qui renforce sa capacité d’imposition. La divulgation obligatoire des paiements aide les entreprises à communiquer de façon crédible leur contribution financière aux économies locale et nationale.
La transparence chasse également la corruption, contre laquelle l’Ouganda dispose de nombreuses lois. Ces lois ne peuvent être mises en place lorsque les contrats sont toujours tenus secrets.
C’est pourquoi nous demandons aux gouvernements de divulguer les contrats de l’EACOP signés entre la République de l’Ouganda, la République-Unie de Tanzanie et les représentant·e·s des entreprises CNOOC et Total.
Chacun·e a le droit de prendre part aux décisions qui le·la concernent.
Robert Tumwesigye Baganda est le coordinateur de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) Ouganda, une coalition de groupes de la société civile ougandaise œuvrant à la promotion de la gouvernance appropriée et de la transparence dans le secteur extractif du pays.
Cette lettre ouverte a d’abord été publiée dans Mongabay et une version plus courte a d’abord été publiée dans le média ougandais Daily Monitor.